Wednesday, June 6, 2018

Croissance et emploi au Maroc : quelle relation ?


L’une des questions traitées souvent dans la littérature sur la croissance économique est le rôle de ce dernier dans l’intensité de création d’emploi. L’objet de cette question consiste à donner une mesure numérique de l'évolution de l'emploi en fonction de la production économique, et d’associer la croissance de l'emploi à un point de croissance économique. Bien qu’elle soit moins fréquemment discutés que d'autres indicateurs clés du marché du travail, l’élasticité de l'emploi (ou de chômage) peut fournir des informations importantes sur l’interdépendance entre les performances économique et sociale.
Dans son utilisation la plus fondamentale, l’élasticité croissance-emploi sert à examiner comment la croissance de la production économique et la croissance de l'emploi évoluent. Elle peut également donner un aperçu de la façon dont la génération d'emplois varie pour différents sous-ensembles de population dans une économie et aider à détecter et analyser les changements structurels de l'emploi au fil du temps. Le mérite de cette question revient au travail de l’économiste américain Arthure Okun qui a annoncé une relation linéaire liant la croissance et le taux de chômage en 1962. Cette relation est connue, depuis lors, sous le nom de la loi d’Okun.
Selon la littérature, il existe deux manières de vérifier la loi d’Okun et de spécifier une relation entre la croissance et le chômage ; le modèle cyclique (Gaps version) et le modèle en première différence (Changes version). La première spécification met en lien, d’une part, l’écart entre la croissance effectivement réalisée et la croissance potentiellement réalisable et, d’autre part, le taux de chômage observé comparé au taux de chômage "naturel", c’est-à-dire celui qui correspond au fonctionnement "normal" de l’économie.
La loi s’écrit alors :
Ut – U*t = β (Yt – Y*t) + εt
Dans cette relation, β est un coefficient (a priori négatif), εt est un résidu statistique, Ut est le taux de chômage observé, U*t est le taux de chômage naturel, Yt - Y*t est l’écart de production (output gap), entre la production effective et la production potentielle, généralement calculé en pourcentage du PIB potentiel (ou encore en prenant la différence des logarithmes des deux productions). Ces composantes cycliques sont obtenues en utilisant les techniques de filtrage des séries chronologiques (le filtre d’Hodrick-Prescott (HP) est un exemple) qui permettent de calculer la déviation de chaque indicateur par rapport à sa tendance.

La deuxième spécification met en lien, d’une part, la variation du taux de chômage U entre les dates t et t-1 et, d’autre part, le taux de croissance du PIB pendant cette période (en %) soit 
(Yt - Yt-1) / Yt-1) (ce taux de croissance du PIB est noté Ygt (Growth).

La loi s’écrit alors :
∆U𝑡 =  β0 + β1Ygt + εt

Figure 1 : Evolution du taux de chômage et du taux de croissance (%)

La mise en œuvre du modèle d’Okun sur les données marocaines durant la période 1999-2015 nous a permis de dégager des résultats contrastés selon différentes sous-groupes de la population.
Figure 2 : Coefficient d’élasticité  croissance-chômage sur la période 1999-2015  (%)


Au niveau national, un point de croissance contribue à la baisse du taux de chômage de 0,15%, une élasticité enregistrée en France durant les années 1960 et 1970 (Blanchard et Cohen, 2006) ; selon des estimations récentes, cette élasticité avoisine -0,60%, rejoignant ainsi l’intensité du lien entre croissance et emploi aux États-Unis.
Le résultat le plus important est enregistré chez les diplômés de l’enseignement supérieur : un point de croissance génère une réduction du taux de chômage de 0,75%. Par contre, cette relation n’est pas justifiée pour les femmes, les jeunes, le milieu rural ou les non diplômés. Ceci pourrait être expliqué par le caractère segmenté du marché du travail qui fait que l’emploi de certaines catégories de la population, notamment les femmes et les jeunes, est indépendant de la croissance économique ; il s’agit, essentiellement, des emplois peu qualifiés, dans l’informel ou dans des secteurs peu productifs.