Saturday, June 9, 2018

Quelques éléments sur la relation croissance, emploi et productivité au Maroc


Sur la période 2001-2014, globalement la productivité a augmenté au Maroc mais reste en deçà des niveaux enregistrés dans de nombreux pays. La croissance du PIB au Maroc est principalement due à l’amélioration de la productivité (73,5%). Le taux d’emploi avait un effet réduit sur la croissance du PIB (16,2%) à cause de son impact négatif sur la croissance durant la période après-crise économique, entre 2007 et 2014. En outre, le Maroc n’a pas bénéficié de sa transition démographique ; malgré l’importance de l’accroissement de la part des jeunes dans la population en âge de travailler, son impact sur la croissance du PIB par habitant était faible durant la période 2001-2014 (10,2%).


La transformation structurelle qu’a connue le Maroc via principalement la tertiarisation de son économie, a engendré une réallocation de la main d’œuvre de l’agriculture vers d’autres secteurs. L’impact de cette réallocation de l’emploi sur la croissance de la productivité n’était pas aussi important (21,4% durant la période 2001-2014) en comparaison avec les progrès réalisés au sein des secteurs (en partie grâce à la réduction de l’emploi dans certains secteurs comme l’agriculture).



La décomposition de la croissance de la productivité, entre 2001 et 2007, révèle que l’amélioration de la productivité a été réalisée grâce aux progrès du secteur des services et le changement intersectoriel au profit de secteurs à plus forte productivité. Par contre, entre 2007 et 2014, l’amélioration de la productivité aux niveaux des deux secteurs de l’agriculture et de l’industrie était, principalement, une conséquence de la réduction de l’emploi dans ces secteurs.


Wednesday, June 6, 2018

Croissance et emploi au Maroc : quelle relation ?


L’une des questions traitées souvent dans la littérature sur la croissance économique est le rôle de ce dernier dans l’intensité de création d’emploi. L’objet de cette question consiste à donner une mesure numérique de l'évolution de l'emploi en fonction de la production économique, et d’associer la croissance de l'emploi à un point de croissance économique. Bien qu’elle soit moins fréquemment discutés que d'autres indicateurs clés du marché du travail, l’élasticité de l'emploi (ou de chômage) peut fournir des informations importantes sur l’interdépendance entre les performances économique et sociale.
Dans son utilisation la plus fondamentale, l’élasticité croissance-emploi sert à examiner comment la croissance de la production économique et la croissance de l'emploi évoluent. Elle peut également donner un aperçu de la façon dont la génération d'emplois varie pour différents sous-ensembles de population dans une économie et aider à détecter et analyser les changements structurels de l'emploi au fil du temps. Le mérite de cette question revient au travail de l’économiste américain Arthure Okun qui a annoncé une relation linéaire liant la croissance et le taux de chômage en 1962. Cette relation est connue, depuis lors, sous le nom de la loi d’Okun.
Selon la littérature, il existe deux manières de vérifier la loi d’Okun et de spécifier une relation entre la croissance et le chômage ; le modèle cyclique (Gaps version) et le modèle en première différence (Changes version). La première spécification met en lien, d’une part, l’écart entre la croissance effectivement réalisée et la croissance potentiellement réalisable et, d’autre part, le taux de chômage observé comparé au taux de chômage "naturel", c’est-à-dire celui qui correspond au fonctionnement "normal" de l’économie.
La loi s’écrit alors :
Ut – U*t = β (Yt – Y*t) + εt
Dans cette relation, β est un coefficient (a priori négatif), εt est un résidu statistique, Ut est le taux de chômage observé, U*t est le taux de chômage naturel, Yt - Y*t est l’écart de production (output gap), entre la production effective et la production potentielle, généralement calculé en pourcentage du PIB potentiel (ou encore en prenant la différence des logarithmes des deux productions). Ces composantes cycliques sont obtenues en utilisant les techniques de filtrage des séries chronologiques (le filtre d’Hodrick-Prescott (HP) est un exemple) qui permettent de calculer la déviation de chaque indicateur par rapport à sa tendance.

La deuxième spécification met en lien, d’une part, la variation du taux de chômage U entre les dates t et t-1 et, d’autre part, le taux de croissance du PIB pendant cette période (en %) soit 
(Yt - Yt-1) / Yt-1) (ce taux de croissance du PIB est noté Ygt (Growth).

La loi s’écrit alors :
∆U𝑡 =  β0 + β1Ygt + εt

Figure 1 : Evolution du taux de chômage et du taux de croissance (%)

La mise en œuvre du modèle d’Okun sur les données marocaines durant la période 1999-2015 nous a permis de dégager des résultats contrastés selon différentes sous-groupes de la population.
Figure 2 : Coefficient d’élasticité  croissance-chômage sur la période 1999-2015  (%)


Au niveau national, un point de croissance contribue à la baisse du taux de chômage de 0,15%, une élasticité enregistrée en France durant les années 1960 et 1970 (Blanchard et Cohen, 2006) ; selon des estimations récentes, cette élasticité avoisine -0,60%, rejoignant ainsi l’intensité du lien entre croissance et emploi aux États-Unis.
Le résultat le plus important est enregistré chez les diplômés de l’enseignement supérieur : un point de croissance génère une réduction du taux de chômage de 0,75%. Par contre, cette relation n’est pas justifiée pour les femmes, les jeunes, le milieu rural ou les non diplômés. Ceci pourrait être expliqué par le caractère segmenté du marché du travail qui fait que l’emploi de certaines catégories de la population, notamment les femmes et les jeunes, est indépendant de la croissance économique ; il s’agit, essentiellement, des emplois peu qualifiés, dans l’informel ou dans des secteurs peu productifs.

Croissance et Emploi au Maroc: Une croissance accompagnée de persistance de sous-utilisation de la main d’œuvre et création d’emplois peu qualifiés


Durant les quinze dernières années, le taux de croissance annuel du produit intérieur brut (PIB), en termes réels, est passé en moyenne de 4,3% à 3,5% entre les deux périodes 1999-2009 et 2010-2016. Le taux de croissance du PIB réel non agricole est passé, quant à lui, de 4,4% à 4,1% entre ces deux périodes. Le niveau de vie de la population, approché par le PIB réel par habitant, s’est amélioré au niveau global. Le PIB réel par habitant s’est presque doublé durant les quinze dernières années  pour se situer à 29 464 dirhams en 2016 ; un niveau qui classe le Maroc parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure selon la Banque Mondiale.
Sur le plan sectoriel, l’économie nationale a enregistré une transformation de sa structure de production vers, principalement, le secteur tertiaire ; en particulier avec le développement des branches des télécommunications et des services financiers. Au total, la part de la valeur ajoutée des activités tertiaires a progressé de 53,6% à 60,9% entre les deux périodes devant le recul de l’importance des activités primaires dans le tissu économique.
En dépit de ces performances, le Maroc enregistre des déficits lourdes sur le marché du travail marqués par la sous-utilisation de la main d’œuvre, la prépondérance de la main d’œuvre peu qualifiée, le niveau du chômage élevé des jeunes et des diplômés, et, le dernier mais non le moindre, le poids économique des activités informelles. Ces déficits pourraient impacter, significativement, la compétitivité de l’économie nationale et affaiblie son intégration dans les chaines de valeurs internationales.
A cet égard, le degré de participation de la population à l’activité économique, mesuré par le taux d’activité, est marqué par une tendance baissière depuis 1999. Cette tendance affaiblit davantage la situation de la femme sur le marché du travail, marquée par une participation trois fois moins que celle enregistrée chez les hommes. En 2015, seules 24,8% des femmes adultes (15 ans et plus) sont sur le marché du travail. Ce constat place le Maroc en deçà de la moyenne des pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure, dont le taux d’activité des femmes est d’environ 40%, et aussi l’un des pays caractérisés par un faible taux d’activité féminin dans la région MENA.  


S’agissant des emplois crées depuis 1999, ils sont en majorité peu conformes aux normes du travail décent. A cet égard, l'emploi non rémunéré représente encore 22,5% de l'emploi au niveau national, et 41,6% en milieu rural. Malgré la progression du salariat de 40,4% en 1999 à 46,3% en 2015 au niveau national, près de deux tiers des salariés travaillent sans aucun contrat. Telle situation est marquée avec acuité dans les secteurs de l'agriculture (92,2%) et du BTP (92,1%). Au plan de la couverture médicale, près de huit actifs occupés sur dix en 2015 (79,1%) ne sont pas couverts contre 86,9% en 2000. Pour les salariés, cette proportion atteint 58,7% en 2015 contre 66,8% en 2000.

L’un des traits saillants de l’emploi est la faible qualification. 61,2% des actifs  occupés sont sans diplôme en 2015 contre 73,7% en 2000. Les détenteurs d’un diplôme de niveau moyen[1] représentaient 27,1% et ceux de niveau supérieur[2] 11,6% (contre respectivement 18,2% et 8,1% en 2000). Selon les secteurs, la part des non diplômés passe en 2015 de 42% dans les services, à 51,2% dans l’industrie, à 63,4% dans les BTP pour atteindre 83,5% dans l'agriculture.
A ce portrait, s’ajoute la persistance du sous-emploi[3] parmi les actifs occupés. La part des actifs occupés sous-employés est de 10,8% en 2015. Cette proportion cache des disparités entre secteurs d’activité économiques ; elle est de 16,9% dans le secteur des BTP, 10,8% au niveau de l'agriculture, forêt et pêche, 10,1% dans les services et de 8,2% au niveau du secteur de l'industrie y compris l’artisanat.
La croissance économique du Maroc durant les quinze dernières années n’a pas favorisé l’intégration de la femme à l’emploi. Elle est plus exposée au chômage que l’homme (leur taux de chômage est de 10,5% contre 9,4% en 2015), particulièrement en milieu urbain (21,7% contre 12,6%), parmi les jeunes citadins (49,9% contre 35%) et parmi les diplômés (24,1% contre 15,3%).




[1] Les diplômes de niveau moyen regroupent les certificats de l'enseignement primaire, ceux du secondaire collégial et les diplômes de qualification ou de spécialisation professionnelle.
[2] Les diplômes de niveau supérieur regroupent les baccalauréats, les diplômes de techniciens ou de techniciens   spécialisés et les diplômes d'enseignement supérieur (facultés, grandes écoles et instituts).
[3] Le sous-emploi représente l’une des principales composantes de la sous-utilisation de la main d’œuvre. Il permet de renseigner sur les actifs occupés qui travaillent moins longtemps ou de façon moins productive qu’ils ne seraient en mesure et désireux de le faire.